Lire Babel de R. F. Kuang a été une expérience littéraire aussi fascinante que déstabilisante. Ce roman aborde des thématiques d’une grande complexité. Dès les premières pages, j’ai été frappé par la capacité de l’autrice à plonger le lecteur au cœur d’enjeux universels tels que le racisme, la misogynie, l’antisémitisme et la haine de l’autre. Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est la manière dont ces problématiques, déjà très présentes sous l’ère victorienne en Angleterre, sont intégrées trop alourdir le récit. L’écriture garde une clarté constante, ce qui rend la lecture à la fois instructive et agréable.
Critique pertinente du colonialisme
La toile de fond du roman repose sur une critique fine et mesurée du colonialisme. Ce thème aurait pu rendre le texte pesant ou trop académique, mais il n’en est rien. R. F. Kuang parvient à doser parfaitement le propos, tout en maintenant une narration fluide. J’ai eu le sentiment de lire une fresque historique portée par un souffle littéraire, presque poétique. L’image qui m’est venue, c’est celle d’un carré de soie : léger, fluide et d’une élégance rare. La phrase citée dans le roman — « C’est la grande contradiction du colonialisme, il est conçu pour détruire ce qui a le plus de prix pour lui » — illustre parfaitement l’équilibre entre réflexion politique et récit romanesque.
Un univers magique et linguistique
Ce qui distingue particulièrement Babel, c’est
son approche unique de la magie. Ici, la puissance réside dans les langues et leur traduction. J’ai trouvé ce concept absolument passionnant. Chaque passage lié à l’étude des langues m’a permis d’en apprendre davantage sur la richesse des cultures et sur la manière dont chaque peuple s’exprime. L’idée que la magie découle de la précision des mots et de la subtilité des traductions est originale et offre une perspective nouvelle à la fantasy. Cet aspect intellectuel du récit m’a captivé, même si parfois la densité des détails ralentit le rythme.
Un rythme inégal et parfois frustrant
Pour autant, tout n’est pas parfait dans ce roman. J’ai ressenti plusieurs longueurs, dues notamment à la longueur des chapitres et à la profusion de détails linguistiques. Cela donne un rythme globalement lent, surtout dans la première moitié du récit. Les nombreuses redites accentuent cette impression de répétition, et j’ai parfois eu le sentiment que la narration tournait en rond avant d’avancer. Le roman fonctionne sur un mode presque « en dents de scie » : un chapitre haletant où l’intrigue progresse rapidement est souvent suivi d’un chapitre bien plus lent, presque statique. Cette alternance peut frustrer, car elle casse l’élan de lecture.
Une seconde moitié plus prenante
Heureusement,
après la moitié du roman, j’ai constaté une nette accélération. L’histoire prend alors parfois des allures de page-turner. Les chapitres où l’intrigue se déploie réellement se lisent avec fluidité, et j’ai eu l’impression que l’autrice retrouvait toute sa
force narrative qui m’avait plu dans Yellowface. Cette seconde partie m’a permis de renouer avec le plaisir de lecture et de me sentir à nouveau captivé. La fin, quant à elle, m’a agréablement surpris. Elle offre une dimension philosophique qui élève le récit et donne du sens à l’ensemble. Cet aboutissement m’a laissé une impression durable, car il dépasse la simple aventure pour questionner en profondeur notre rapport au pouvoir, aux langues et à la culture.